Et si l’Artec interdisait les offres DATA Facebook à Madagascar ?

L’Internet à Madagascar est particulier. Il s’achète d’avance (pré-payé) et surtout, il n’y a pas UN Internet mais plusieurs :

  • Accès à Facebook à 1000 Ar (0,20€) par Giga Octet (Go)
  • Accès au reste d’internet à 7500 Ar (1,6€) par Go
  • et beaucoup d’autres offres TV, Livres, News … à des prix variables, parfois non liées à la quantité de données transférées

Les offres Internet limitées à Facebook tuent l’innovation à Madagascar

Les offres Internet qui limitent l’utilisateur à Facebook inhibent profondément la possibilité d’innover des entreprises technologiques malgaches.
En effet, les possibilités de personnalisation au sein de facebook (pages, groupe …) se limitent généralement aux aspects marketing (texte, couleurs, branding, images …).

Lorsqu’une entreprise de VTC souhaite faciliter la rencontre entre un véhicule avec chauffeur et une personne qui souhaite se déplacer en ville, il crée son App et la publie sur l’AppStore et le PlayStore.
Mais tout de suite, 80% des utilisateurs ayant un accès à Internet ne peuvent pas télécharger l’application. Ils ont cédé à la tentation de payer Internet 8 fois moins cher.
Je ne blâme pas les Malgaches qui choisissent ces offres. Il est juste rationnel de choisir un produit, à priori similaire, qui coûte huit fois moins cher, non ?
Mais rien que lors de cette première étape, l’innovation technologique de notre entreprise de VTC perd 80% de ses clients potentiels.
Toute l’ergonomie de l’application (détection automatique de la position du client, estimation du prix et du temps d’attente, notification de la proximité du véhicule, paiement intégré en ligne …) tombe à l’eau. Non pas parce que l’App est nulle. Mais parce que Internet (avec un grand I) ne le permet pas pour 80% de la population cible.

Ensuite, si le client a utilisé le wifi du bureau pour installer l’application, aucune des fonctionnalités de l’application n’est opérationnelle (obtenir la liste des vehicules, afficher la carte, sélectionner le véhicule et l’heure du pickup) toujours parce que ces fonctionnalités nécessite une connexion entre l’App et les serveurs de l’entreprise.

Imaginez maintenant un Job board spécialisé et local à Madagascar. Il aurait un pool d’offres d’emploi à forte valeur ajoutée et qui propose deux fonctionnalités incroyables : un filtre sur le salaire et des notifications mobiles pour des recherches pré-enregistrées. L’entreprise qui offre ce service a également créé une super App qui permet de faire ces recherches incroyables (think Salaire > 10M Ar), de les enregistrer. Puis un jour, une semaine, un mois après, POP! . Une notification envoyée par l’App à l’utilisateur final à la seconde où un poste de Principal Software Developer à 12M Ar est publiée par une ESN locale.
Ça, c’est ce qui se passerait si Internet était neutre et libre. Mais les utilisateurs qui ont juste un forfait Internet Facebook, ne recevraient pas la notification.
En effet le système de notification des appareils iOS et Android utilisent un mécanisme centralisé pour économiser la bande passante et les batteries. Et ce mécanisme nécessite une connexion Internet également.
La encore, l’Application perd une de ses fonctionnalités phares car elle n’a pas les moyens de faire du “Push”.

La connectivité permanente et sans blocage d’Internet est un formidable vecteur d’innovation pour les entreprises. Le fait de rendre cette connectivité sans restriction plus cher qu’elle ne le devrait, pénalise les tentatives d’innovation digitales mises en place à tous les niveaux. Cela, engendre un manque de productivité au niveau national qui, à son tour, entretien durablement la pauvreté du pays.

Quel devrait être le prix de l’Internet à Madagascar ?

Aujourd’hui, aucuns des trois fournisseurs d’accès Internet proposant Facebook moins cher ne présentent de résultat financier déficitaire.
Ainsi, les éventuelles pertes (s’il y en avait, mais j’en doute) engendrées par la vente d’offre Facebook à 1000 Ar sont compensées par la vente des offres sans blocage à 7500 Ar.

Ainsi, un prix moyen pondéré par les volumes de vente devraient aboutir au même résultat financiers. Voici donc nos hypothèses :

  • Prix Facebook : 1000 Ar
  • Prix Internet : 7500 Ar
  • Ratio Facebook vs Internet : 0,8

En utilisant ces 3 paramètres, le juste prix d’Internet serait la moyenne pondérée suivante :

PrixMoyen = PrixFacebook * Ratio + PrixInternet * (1 - Ratio)
PrixMoyen = 1000 * 0,8 + 7500 * 0,2
PrixMoyen = 2300

Le prix moyen qui n’aurait pas d’impact financier pour les opérateurs Telecom serait de 2300 Ar le Giga octet à Madagascar.

Pourquoi les Telecoms continuent ces offres limitantes et comment mitiger les impacts commerciaux négatifs de leur suppression ?

Le prix que je mentionne 2300 Ar n’aurait pas d’impact sur la rentabilité des opérateurs Telecom. Ces dernières continuent pourtant de proposer les offres Facebook car leur suppression auraient un impact commercial lourd (baisse de volume) pour trois raisons :

  • ces offres facebook bon marché sont les produits d’entrée de gamme des Telecom malgaches (certains personnes ne peuvent/veulent pas mettre plus de 1000 Ar pour Internet) et les enlevée priverait ces société d’un tranche significatif de leurs revenus
  • elles sont d’excellents produits d’appel : un peu comme des offres basiques (facebook) avec en option premium le reste d’Internet. Ce mécanisme de permet d’onboarder beaucoup de clients avec un prix imbattables et ensuite tenter de convertir une grande partie vers les offres plus cher
  • Enfin, elles ont été utilisées comme produit de différenciation : certains opérateurs offrent Facebook uniquement, d’autre Facebook et Whatsapp enfin d’autre TikTok ..

Pour adresser ces trois points, les Telecom pourraient jouer sur un paramètre : le débit maximum.

Ainsi, au lieu de limiter les site ou services qui fonctionnent, l’opérateur limiterait le debit.
On pourrait avoir :

  • l’offre Sokatra à 1000 Ar le Go avec un débit maximum de 256 kbit/s. On peut streamer un podcast, ou une video en très basse résolution. L’application VTC fonctionnerait. Le téléchargement de l’App aussi (avec un peu de patience). Les notifications mobiles fonctionneraient toutes et ChatGPT fonctionnerait !
  • l’offre Standard à 2300 Ar le Go avec un debit max de 512 kbit/s. On peut suivre un cours Udemy (ou une serie Netflix) en résolution standard avec quelques coupures. La navigation sera un peu lente mais ce sera largement suffisant pour une personne qui a besoin de faire des Zoom et suivre des cours en video.
  • l’offre Mavitrika à 4600 Ar le Go sans débit max. On peut tout faire et on a accès à la 5G. les professionnels et ceux qui voudront des video sans coupure iront naturellemnt sur cette offre

Avec ce type de segmentation produit, les Telecoms continuent de pouvoir segmenter leurs clients et d’optimiser leurs revenus. Clairement, ils peuvent faire payer plus ceux qui le peuvent. Mais ils continuent d’atteindre les personnes aux revenus modestes avec les offres à bas débit.

Un véritable enjeu de société

Je vous ai expliqué le problème en parlant des innovations qui ne peuvent pas se faire car je suis passionné par la tech et l’innovation.
Mais en vrai, l’enjeu est beaucoup plus grand pour Madagascar !

Lorsque l’Internet de Madagascar empêche les personnes modestes d’avoir accès Google pour faire des recherches, StackOverflow pour poser des questions liés aux développement, ChatGPT pour faire des taches répétitives et rébarbatives.
Nous accentuons le fossé entre riches et pauvres.

En bonus, ces personnes qui se contentent des offres bas débit ont accès aux toutes dernières innovations (Application modernes, notifications, cours en ligne, Google, ChatGPT) ce qui réduit la fracture numérique et la fracture de productivité.

La régulation par l’Artec pourrait être une solution

Nous avons un organisme étatique appelé Artec qui est chargé de réguler le marché des télécommunication à Madagascar. Ce marché est critique car il s’agit d’un secteur ayant un énorme impact sur l’économie et la société en générale.

Il est assez illusoire de penser qu’une prise de conscience collective se fasse spontanément par les opérateurs télécom. En effet, le marché des offres Internet est extrêmement concurrentiel. Le premier opérateur qui se lancerait vers cette suggestion d’arrêter les offres facebook risquerait de se retrouver privé d’une grande partie de sa clientèle.

Une solution qui permettrait d’harmoniser les opérateurs serait que l’Artec décide d’interdire toutes les offres d’accès partiel à Internet. Cela signifierait la fin des offres Facebook, News ou TV spécifiques aux opérateurs (Telma TV, Orange News ..) .
Avec une telle décision, les opérateurs seraient contraints de se différencier autrement qu’en filtrant Internet. Il n’auraient alors que le choix entre jouer sur les durées des offres (7 jours, 30 jours , abonnements ..), le débit que j’évoquais plus haut dans le document et évidemment … le prix !

Car oui, le prix d’Internet est un facteur primordial pour le développement de l’écosystème à Madagascar. Il est également un vecteur important qui permettrait d’améliorer significativement le niveau d’éducation de la population et son efficacité au travail.
Ces points pourraient être les prémisses d’une réduction durable de la pauvreté du pays entier.

Qu’en pensez vous ?

Alors, est-ce que vous êtes pour échanger les forfait Facebook contre des forfait Sokatra (lent mais ayant accès à tout) ?

Crédit photo : Page Facebook Artec Madagascar